La saisonnalité des fromages est d'abord liée à des réalités naturelles : pour fabriquer du fromage, il faut du lait, et pour avoir du lait, il faut qu'une vache, une brebis ou une chèvre mettent au monde un petit. Or, chez ces animaux, les périodes de reproduction sont plus ou moins soumises aux saisons.
« Avec les vaches, les phases de lactation sont longues et on peut avoir du lait toute l'année, explique Benoît Lemarié, crémier-fromager à Aix-en-Provence. C'est une autre histoire pour les brebis, dont la lactation s'étale entre novembre et juin. Quant aux chèvres, elles se reproduisent naturellement une fois par an, à l'automne, et donnent du lait pendant huit à neuf mois, de mars à novembre environ. »
Mais alors, pourquoi trouve-t-on continuellement du sainte-maure-de-touraine¹, du banon² ou d'autres fromages de chèvre ? Parce que les hommes ont appris à désaisonner, c'est-à-dire à décaler la période de reproduction grâce à des méthodes plus ou moins naturelles : contrôle de la mixité dans les troupeaux, luminothérapie, utilisation d'hormones, insémination... Du côté de la commercialisation, le froid peut aussi étirer les périodes de vente. Le roquefort³, par exemple, est fabriqué avec du lait de brebis et affiné pendant environ trois mois. Pour pouvoir le vendre sans interruption, les producteurs le stockent à des températures basses qui freinent sa maturation.
Quelques fromages sont en revanche introuvables à certaines périodes de l'année. Plusieurs Appellations d'Origine Protégée (AOP), minoritaires, imposent des restrictions dans leurs cahiers des charges. Le mont-d'or⁴ est ainsi confectionné du 15 août au 15 mars, puis vendu du 10 septembre au 10 mai.
« Les producteurs de comté fabriquaient le mont-d'or quand les vaches redescendaient en plaine après avoir passé les beaux jours dans les hauts pâturages du massif jurassien », explique le Tourangeau Rodolphe Le Meunier, Meilleur Ouvrier de France (MOF) fromager.
Autre exemple : le salers⁵, qui ne peut être élaboré qu'entre le 15 avril et le 15 novembre. Quant à la brousse du Rove⁶, dernière AOP fromagère française en date, elle est strictement interdite en décembre, que ce soit en production ou en commercialisation.
L'intérêt de ces contraintes ? Le respect du rythme des animaux et les avantages environnementaux du pâturage, mais aussi le goût, en tout cas pour les fromages au lait cru – les laits pasteurisés et homogénéisés donnent des produits constants. Pour Rodolphe Le Meunier, la saison idéale de fabrication court de Pâques à la Toussaint.
« La plupart du temps, les fromages sont meilleurs quand les bêtes mangent de l'herbe », poursuit Benoît Lemarié.
Le beaufort « chalet d'alpage »⁷, par exemple, est fabriqué du 1er juin au 31 octobre : les troupeaux sont en altitude, dans les montagnes, où ils broutent plusieurs dizaines d'espèces végétales qui donnent à la pâte des arômes affirmés. Les fromages produits en hiver, au moment où les animaux restent à l'étable et se nourrissent surtout de foin, sont d'ailleurs plus pâles que ceux d'été : l'herbe fraîche, riche en bêta-carotène, donne à ces derniers une belle carnation dorée.
Ces réalités saisonnières ne doivent pas faire oublier un paramètre fondamental pour bien comprendre le calendrier des fromages : l'affinage, qui éloigne plus ou moins le temps de la dégustation de celui de la fabrication.
« Le fromage n'a pas été inventé pour être bon, mais pour conserver l'aliment riche et fragile qu'est le lait, rappelle Benoît Lemarié. Dans les régions comme la Provence, où la nature est douce et les ressources variées toute l'année, on trouve surtout des petits fromages à affinage court. À l'opposé, les pâtes pressées cuites sont liées à la haute montagne : en Savoie ou dans le Haut-Jura, où les hivers sont longs et rigoureux, les fromages traditionnellement élaborés en été répondent à la volonté de manger et vendre pendant les mois moins fastes. »
Ainsi, contrairement à ce que laissent croire les soirées hivernales ponctuées de tartiflette, le cœur de saison du reblochon⁸ se situe en été, quand les vaches sont au pâturage ! Dans la famille des pâtes pressées et des pâtes dures, en revanche, la maturation dure plusieurs mois, voire des années. Le comté⁹ préféré de Rodolphe Le Meunier ? Celui qui est fabriqué durant les beaux jours, affiné dix-huit mois et consommé quand les frimas sont là. Quelques gourmets ont toutefois un faible pour les comtés d'hiver, auxquels le foin apporte des notes aromatiques végétales ou torréfiées plus marquées, et, si certains aiment les chèvres encore crémeux, d'autres les adorent durs et piquants. Tous les goûts sont dans la nature... et la culture !
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